Samedi 18 septembre, les représentants de la commune de Villarodin-Bourget, de l’Office national des Forêts et du Parc national de la Vanoise étaient réunis pour la signature de la convention pour l’observatoire de la forêt de l’Orgère. L’évènement marque la relance pour les dix prochaines années d’un partenariat engagé dès 2006 autour de cette forêt multiséculaire de pins cembros et de mélèzes, riche d’une grande biodiversité dont la rare chouette chevêchette.
En débutant par une visite du site, accompagnée d’agents du Parc national de la Vanoise et de l’Office national des forêts, la journée a permis de prendre ou reprendre la mesure de l’ambiance particulière de cette forêt de 80 ha, située sur la commune de Villarodin-Bourget, entre 1900 m et 2500 m d’altitude, et pour partie en cœur de Parc national. Une forêt qui n’est plus exploitée depuis 1943.
Au refuge de l’Orgère, la signature officielle de la convention par la commune, le Parc national de la Vanoise et l’Office national des forêts a consacré la volonté des trois partenaires de poursuivre leur démarche engagée en 2006 pour suivre l’évolution naturelle et valoriser cette forêt exceptionnelle.
Un des objectifs de l’observatoire est de maintenir la forêt de l’Orgère au sein du réseau des forêts à caractère naturel, avec un suivi scientifique sur le très long terme du peuplement forestier pour en évaluer l’évolution en termes de composition et de structure. Le document de gestion forestière signé par le préfet de région conforte la libre évolution de la forêt au moins jusqu’en 2036 et dans une perspective de très long terme.
L’amélioration des autres connaissances sur la biodiversité sera également poursuivie en fonction des opportunités de travaux sollicités par les chercheurs. Cette forêt non exploitée est un site unique pour obtenir des références scientifiques sur le fonctionnement des forêts à haut degré de naturalité en haute montagne.
Le volet sociologique des études sera aussi reconduit pour comprendre les perceptions de cette forêt par les habitants et les visiteurs et surtout observer comment, avec le temps, et la création du sentier de découverte, les perceptions ont évolué.
L’observatoire vise également à faire connaître et valoriser le caractère exceptionnel de cette forêt auprès de tous les publics : scolaires, habitants, visiteurs, personnes en situation de handicap ou encore professionnels de la forêt. Des sorties, animations, expositions, conférences de restitution de travaux scientifiques seront proposées pour faire connaître la forêt dans ses différentes dimensions et en faire aussi un lieu privilégié de découverte sensible de la nature.
La convention signée entre les trois partenaires précise par ailleurs que, excepté pour des raisons de sécurité, aux abords immédiats des sentiers balisés, toute coupe et enlèvement d’arbres vivants, de toutes dimensions sont exclus. L’activité traditionnelle de collecte de bois mort (affouage) par les résidents locaux est autorisée sur certaines parcelles, dans les conditions actuelles. En dehors du cœur, la chasse continue à s’exercer tout comme la collecte de bois mort.
Pour visiter la forêt de l’Orgère : https://rando.vanoise.com/rando-a-pied/vallon-de-lorgere/
La forêt de l’Orgère sous le regard des scientifiques
Une conférence au refuge de l’Orgère, proposée l’après-midi a permis au public, de prendre connaissance des résultats des travaux scientifiques déjà menés ces dernières années dans la forêt.
L’état des lieux des peuplements forestiers (par Vincent Augé, du PNV et Pierre Paccard de l’ONF) a confirmé le grand intérêt patrimonial de la forêt de l'Orgère. Les peuplements, peu modifiés par la gestion, peuvent être qualifiés de subnaturels : les diamètres des troncs inventoriés présentent une forte proportion de gros et très gros bois, certains arbres atteignent des diamètres de plus de 100 cm et sont âgés de plus de 700 ans.
L’inventaire des champignons (par Maurice Durand et Philippe Saviuc de la Société Mycologique et Botanique de la Région Chambérienne) témoigne aussi de l’originalité de la forêt. La proportion de champignons sur les bois morts est faible par rapport à ce qui était attendu. La grande durabilité du bois de mélèze et de pin cembro, la faiblesse des précipitations, des vents desséchants et une température moyenne basse liée à l’altitude expliquerait ce phénomène. Certains spécimens présentent quant à eux des dimensions extraordinaires avec notamment un Agaricus macrocarpus dont le pied mesurait environ 50 cm.
Cette forêt non exploitée est riche en bois mort et donc d’insectes qui s’en nourrissent : les coléoptères saproxyliques (du grec sapros, en décomposition, et xylos, le bois). L’entomologiste Benoît Dodelin a indiqué que 17 espèces considérées comme patrimoniales fréquentent la forêt. Leur diversité est maximale dans les zones les plus riches en bois mort mais les espèces varient pour partie entre cembraie vieillie (Orgère) et forêt mixte-rajeunie (Villarodin).
La présence de charbonnières (fabrication sur place de charbon de bois par les habitants) est connue depuis longtemps dans cette forêt. Raphaël Lachello (Université Grenoble-Alpes) a présenté les résultats de ses recherches : à l’aide d’outils de télédétection, il a pu en répertorier 5, alignées le long d’un ancien sentier. Les investigations vont se poursuivre afin de comprendre quand et comment les habitants les ont utilisées.
R. Lachello a ensuite présenté l’étude des représentations sociologiques de cette forêt, (réalisée par Pierre Le Quéau). Quels que soient les points de vue, la « naturalité » semble désigner un certain état de la forêt : densité d’arbres et de gros arbres, une certaine obscurité et l’absence de traces humaines. Cette naturalité ne laisse jamais indifférent, qu’elle soit perçue favorablement ou défavorablement. Un certain effroi face à la naturalité réunit ceux qui se réfèrent à un monde paysan où le combat contre elle était très présent au quotidien. À l’opposé, c’est une admiration qui fédère ceux qui voient dans la naturalité forestière la présence d’un « tout autre ». Mais, pour différentes que soient ces attitudes, elles semblent communément orientées vers ce que chacun, dans son monde, envisage comme une origine : celle d’une communauté humaine (le « pays »), celle de la vie biologique (« l’écosystème »), ou celle de son propre éveil sensible (le « paysage »).